La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Misfits


Alors que sort ces jours-ci la VF de la première moitié du "Dragon Keeper" de l'impressionnante Robin Hobb, je m'en vais en chroniquer l'intégralité.
Que les amateurs de la dame sachent que "Dragon Keeper" se passe dans les Rain Wilds, c'est à dire dans le même monde que ses cycles de "l'Assassin Royal" et des "Aventuriers de la Mer". Les Rain Wilds sont la zone hostile située au nord de Bingtown et baignée par la Rain River, un pays d'Elderlings et de dragons.
L'histoire débute après la conclusion des "Aventuriers de la Mer". Les serpents marins se souviennent qu'ils sont des dragons en devenir, et ils remontent la Rain River vers le lieu ancestral de leur métamorphose. Là ils devront tisser leur cocon et y rester plusieurs mois pour se transformer en dragons. Pour ce faire ils sont aidés par la dragonne Tintaglia qui espère une renaissance de la race draconique. Mais les choses tournent mal. Arrivés trop vieux et trop tard dans l'année, les serpents ne connaissent qu'une métamorphose incomplète. Ce sont des créatures handicapées, bancales, qui sortiront des cocons. Incapables de voler, malformés, faibles, les quelques survivants du désastre ne parviennent que difficilement à se nourrir eux-même, et ils deviennent rapidement une charge pour les humains qui ont accepté d'en prendre soin contre l'aide apportée par Tintaglia dans une précédente guerre. Ils se trouvent alors au centre de multiples intérêts, les leurs y compris.
Dans "Dragon Keeper", Robin Hobb prouve encore une fois qu'elle est peut-être la plus grande auteure de character-driven fantasy. Le roman met en scène une collection de personnages incomplets, inadaptés, des misfits. Les dragons sont des créatures pathétiques oscillant sans cesse entre une grandeur rêvée, mais hors de portée, et une mémoire raciale fragmentaire et frustrante. Ils n'ont, de leurs origines, conservé qu'une morgue et une outrecuidance sans rapport avec leurs capacités concrètes, et ils en souffrent intensément. Ils voient ce qu'ils sont et ne parviennent pas à oublier ce qu'ils auraient du être.
Les humains qui interagissent avec eux ne sont pas mieux lotis. Alise, fille protégée et fragile d'un marchand de Bingtown, mal mariée avec un homme qui ne l'aime pas, s'oublie dans l'étude frénétique des dragons, et remonte la rivière acide pour aller à leur rencontre. Elle pourra peut-être sortir grandie de ce voyage s'il ne la brise pas. Thymara aurait du être exposée à la naissance, comme c'est la coutume parmi les rain wilders lorsqu'un nouveau-né est trop déformé par l'essence magique de la région. Sauvée par son père, elle est à l'orée d'une vie adulte de paria, caractérisée par l'interdiction formelle de se reproduire. Elle accepte d'accompagner les dragons jusqu'à une cité mythique dont personne n'est sûr qu'elle existe encore. Les caciques de Trehaug ont en effet réussi à se débarrasser dans un même mouvement des dragons et de tous les adolescents malformés en les envoyant dans cette quête à laquelle ils ne croient pas. Le capitaine Leftrin remonte aussi la rivière et utilise sa barge modifiée comme base des gardiens de dragon. Il est l'objet d'un chantage cynique et se trouve de fait en danger. Il est au centre d'une rencontre explosive entre deux mondes sociaux. Sedric et Hest partagent un secret qui les exclut, leur interdit la lumière, et aura de nombreuses conséquences qu'on imagine, avant la lecture de second volume, terribles. J'arrête ici mais il y a beaucoup d'autres personnages passionnants (Tats l'ancien esclave par exemple, paria au sein des parias ou Greft qui veut, au besoin par la force, inventer de nouvelles règles différentes de celles qui l'ostracisent). Hobb crée des personnages réalistes, complexes et tourmentés, dont on espère rapidement qu'ils pourront tirer le meilleur de l'aventure unique à laquelle ils prennent part, car on s'attache sincèrement à eux.
L'auteure décrit avec force détails les Rain Wilds. Berceau d'une société arboricole et marchande, c'est un monde complet qui est présenté au lecteur, doté d'un écosystème détaillé, une sorte de mangrove non cartographiée, baignée par une rivière assez acide pour tuer. C'est cette rivière que tous les personnages remontent avec les dragons vers des destins que chacun, dragons comme humains, espère meilleur. Ce piteux equipage, à mi-chemin entre "African Queen" et "Au coeur des ténèbres", se débat entre difficultés de la mission et traitrises de ceux qui, en son sein, ont un autre agenda.
Personnages et décors sont superbement développés. C'est parfois un peu lent mais c'est le plaisir de savourer un visage ou un paysage. Qui plus est Hobb réussit dans "Dragon Keeper" à créer de riches personnages de femmes, loin de ce qui m'avait semblé mièvre dans les "Aventuriers de la Mer".
"Dragon Keeper" est un grand roman qui se lit à toute vitesse tant le plaisir de lecture est intense. Je lirai sous peu la second tome "Dragon Haven".
Dragon Keeper, aka Les cités des anciens, Robin Hobb

Commentaires

le_gritche a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
le_gritche a dit…
Ne m'en voulez pas si je n'ai lu que les derniers paragraphes de votre critique, mais déjà que je connais le lieu de l'action, je n'a pas envie d'en savoir plus. Seule votre impression finale m'importait et autant dire qu'elle me met en confiance !

Ca fait plaisir après avoir entendu tant de gens casser Robin Hobb, que c'est plus ce que c'était, qu'ils veulent des histoires gays entre Fitz et le Fou plutôt que des nouvelles trilogies comme Le soldat chamane, qui certes m'a paru plus "light" que les précédentes.

A propos des persos féminins, ceux des Aventuriers de la mer sont très bons, combattifs MAIS féminins, et assez nombreux pour qu'on les explore de différentes facettes. Leur courage et leur force sont d'autant plus grands qu'elles doivent lutter contre l'autorité patriarcale, le mariage forcé, le viol, et ce sans jamais tomber dans la pleurnicherie. "Mièvre" est AMHA ce qui convient le moins pour qualifier cet aréopage de femmes et leur rôle central - devant celui des hommes ou peut s'en faut - dans les aventuriers de la mer. Les persos vraisemblables - mais que l'on peut haïr - et cohérents étant ce qui me fait lire cet auteur.
Gromovar a dit…
Je suis d'accord avec votre analyse. Néanmoins il est vrai que j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup trop de pensées autour des robes, des bals, des mariages.
Je ne parle évidemment pas ici d'Althéa Vestritt qui est un superbe personnage et qui fait une apparition en guest star dans Dragon Keeper.
Pour ce qui est des persos vraisemblables et cohérents vous allez vous régaler. J'espère.
Munin a dit…
Mouais... Tu me donnes presque envie de redonner sa chance à Mme Hobb après la semi-déception des Aventuriers de la Mer et la complète déception de la 2nde trilogie de la Citadelle des Ombres.
Gromovar a dit…
Je ne voudrais pas te pousser à des actes inconsidérés. Je peux seulement dire que j'ai retrouvé le plaisir immense de m'inquiéter pour des personnages.
Efelle a dit…
Avec le recul, je ne trouve finalement rien d'exceptionnel au premier cycle de la Citadelle des Ombres, son univers ne m'attire pas.

Passé la surprise initiale, je crains de trouver trop de redites.
Gromovar a dit…
Si tu n'aimes pas son univers, en effet il vaudra mieux éviter parce qu'on est à plein dedans, dans le fond et surtout dans la forme.
rêve a dit…
très fan de Robin Hobb, je viens de finir ce volume qui permet de retrouver avec plaisir l'univers et de s'y immerger.
Mais je trouve le style plus relâché et l'intrigue un peu roman à l'eau de rose type Harlequin pour la naïve Alise
Gromovar a dit…
C'est vrai qu'il y a un petit aspect romance, qui est caractéristique de ses écrits sur Bingtown. Et je ne sais pas pourquoi. Ce n'est pas ce que je préfère, mais je trouve que le tout est globalement bon, même si certaines scènes m'ont parfois un peu fait sourire.