La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

La domination masculine


"La domination masculine" est un livre qui a fait polémique quand il est sorti. En cela il illustre à merveille la difficulté de la réception sociale d'un discours scientifique sur les pratiques sociales. Le lecteur non averti pense souvent qu'on justifie et valide une situation en la décrivant, et le lecteur impliqué ne veut rien lire qui aille à l'encontre de ses intérêts, voire de son pathos. "La domination masculine" a donc été plutôt mal reçu par les milieux féministes, alors qu'il est un ouvrage dont le projet est ouvertement de lutter contre la domination masculine, et qu'il est une adresse qu'un "féministe" envoie à d'autres féministes.
Bourdieu décrit ici le mécanisme éternellement reproduit (avec une telle permanence qu'il en paraît anhistorique) de l'instauration de la domination masculine. Il use du détour anthropologique qui consiste à utiliser la société kabyle traditionnelle comme un modèle archétypique de la domination masculine, puis il montre comment, sous des formes homologiques, cette domination existe dans notre société. Par delà l'objet dont il est question ici, et auquel on peut ou pas s'intéresser, ce livre développe deux points passionnants.
D'une part Bourdieu décrit très longuement le mécanisme de la domination symbolique qui est un concept important de sa sociologie. Il explique en quoi la domination symbolique est une forme de domination qui n'existe que parce que le dominé valide les critères de classement qui le place dans cette position. Il prend maintes précautions pour expliquer que l'affirmation précédente ne signifie pas que la domination s'effectue avec la complicité objective ou la complaisance du dominé. Il montre que l'inculcation des critères s'est faite de telle manière qu'il est presque impossible aux dominés de ne pas les acter (ainsi les femmes (ne me faites pas l'injure de dire que ce n'est pas une catégorie sociologique, Bourdieu traite ici de parts invariantes) intègrent massivement les systèmes de disposition et de classification qui les placent en position d'être dominées). Et les mécanismes de la domination symbolique ont ceci de totaux qu'il est impossible aux dominants (les hommes) de ne pas les acter aussi et agir en conséquence. Dans la domination symbolique, la domination est subie tant par les dominés que par les dominants. C'est la domination qui domine. C'est vrai dans les rapports entre les hommes et les femmes, ça l'était aussi entre les nobles et les paysans, ou entre les grands bourgeois et les ouvriers (qu'on pense à la notion de "gens biens" utilisée par les personnes âgées des milieux populaires pour justifier leur autocensure ou à leur manière contrite de se tenir dans un lieu qu'elle considère comme au dessus de leur position).
D'autre part Bourdieu s'oppose à ceux des féministes qui, comme certains marxistes ou psychanalystes, pensent que la domination repose sur une "fausse conscience" illusoire recouvrant la "conscience claire" de la réalité de la domination et de ses mécanismes. Dans cette approche il suffirait d'une action de "dévoilement" pour mettre fin à la domination. Aussi la pratique des sciences sociales, la rédaction d'ouvrages théoriques, et leur lecture par le plus grand nombre, auraient pour effet d'empêcher la poursuite des mécanismes révélés dans leur "laideur" par la théorie. Cette croyance, très judéo-chrétienne, dans le pouvoir de la nomination comme moyen de transformation de la réalité, Bourdieu la conteste. Il montre que le corpus important des études scientifiques (budget temps, niveau de salaire, taux de chômage, qualification, etc...) additionné de la masse des travaux théoriques en gender studies, voire strictement féministes, n'amènent aucun changement dans la domination relative des hommes sur les femmes. Malgré les changements visibles dans la place des femmes dans la société occidentale, l'écart ou les distorsions entre les sexes sont déplacés et pas supprimés. La domination symbolique est reproduite en permanence par la famille, l'école et l'Etat, car la structure de la domination est structurante du fait même qu'elle est structurée. Et parce que les habitus sont câblés au niveau le plus bas comme des réflexes, il est très difficile de s'en extraire (on peut savoir quel est l'arc réflexe qui fait qu'on lâche un plat brûlant sans être capable de ne pas le lâcher, tout le monde en a fait l'expérience un jour) et de changer les pratiques. Ce à quoi Bourdieu invite, c'est à une transformation de grande ampleur des institutions de la reproduction, nécessairement longue et difficile car celles-ci sont adaptées aux habitus existants, en étant l'origine et le produit.
Comme toujours un livre passionnant. Comme toujours un exercice de théorie de haute volée. Comme toujours une attention aux détails logiques et à la description d'une pensée complexe réellement uniques. Et on comprend encore pourquoi Bourdieu est Bourdieu.
La domination masculine, Pierre Bourdieu

Commentaires

Aigo a dit…
C'est marrant, ça, je ne savais pas que les milieux féministes avaient mal reçu ce livre. Il m'a toujours semblé évident que Bourdieu était lui-même féministe.
Faut dire que c'est un homme, donc suspect... si une femme avait écrit le même livre, personne ne l'aurait soupçonné de vouloir valider ce qu'elle décrivait.

Ne vous méprenez pas, j'aime bien le féminisme dans ses grandes lignes. Mais je n'aime pas les militants, et bon dieu que les féministes sont des militantes aussi débiles que tous les autres...
Gromovar a dit…
Ce que certaines féministes ont reproché au livre c'est l'impression qu'elle ont eu que la théorie, en faisant des femmes des éléments objectifs de leur propre domination, exonérait les hommes de leur responsabilité. Ce n'est pas ce qu'il voulait dire. La domination est structurante et elle structure les attitudes, celles des hommes comme celles des femmes. Il est aussi très difficile de ne pas la reproduire, car, étant subliminale, elle est perçue comme naturelle et donc sa reproduction n'est pas envisagée comme une chose à laquelle on peut véritablement s'opposer.
Tétard a dit…
Bonjour. Apparemment, les féministes adressaient un autre reproche à Bourdieu : celui de négliger leurs travaux, présentés sous le seul aspect négatif dans le corps du texte, et totalement absents de la bibliographie.
Gromovar a dit…
En effet, mais il me semble que c'est vraiment les formulations de Bourdieu que certaines féministes n'ont pas acceptées.
C'est pourtant la base même du concept de domination symbolique que de s'exercer avec la complicité passive et involontaire de ceux qui la subissent. C'est comme lorsque les vieux paysans ou ouvriers disent "ce n'est pas pour nous" ou "c'est pour les gens biens", ou s'endimanchent pour aller rencontrer une personnalité, validant ainsi un classement qui leur est imposé.
Elessar a dit…
Je suis en plein dedans actuellement et c'est vraiment passionnant même si un peu désespérant parfois aussi.
Certains passage me sont par contre assez obscures, je manque de connaissances dans le domaine.
Mais malgré tout, ce qu'en j'en saisi est très intéressant.
Gromovar a dit…
C'est un excellent ouvrage et ça éclaire bien la pensée de Bourdieu.
Sinon l'ouvrage de lui qui l'explique sans doute le mieux c'est "Sur la télévision".