La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Une Beauvoiritude


Premier roman féministe de ma vie. J'en ressors conforté dans deux croyances de longue date. Primo : on doit être féministe. Secundo : on doit lire des dystopies.
"La servante écarlate" (délirante traduction du titre anglais) est une dystopie qui prend place dans un pays qui est sans doute une Amérique sous la botte d'une dictature chrétienne (tiens donc ! pourtant le livre date de 1985). Les femmes y ont perdu tous leurs droits civiques et le plaisir sexuel est le mal absolu. Reste pour les femmes jeunes et fertiles, enfermées, comme disparues, à être embrigadées de manière presque obligatoire dans une sorte d'ordre, qui, au dire de certains, religieux notamment, est le cœur de leur féminité : la reproduction. Comme l'écrit à un moment l'héroïne du récit : "Il m'appartient de payer l'équipe de retour, de justifier ma nourriture et mon entretien, comme une reine fourmi avec ses oeufs[..]Elle compte sur moi. Elle espère, et je suis le véhicule de son espoir[..]elle veut un petit enfant à gâter à la cuisine, pour qui repasser des vêtements, à qui glisser des biscuits quand personne ne regarde. C'est moi qui doit lui procurer ces joies.". Nous lisons un roman ; Defred, l'héroïne, n'existe pas, la cuisinière qui espère un enfant non plus, mais combien de femmes n'ont pas senti cette attente impérieuse dans le regard de leur mère ou dans celui aux yeux multiples de la société ? Que nous soyons assez civilisés pour ne rien imposer ne change rien à cette vision atavique.
Une telle conception autorise une gestion politique des femmes, qui sont donc une ressource utile au même titre qu'une rivière poissonneuse ou un bois giboyeux (les Sabines en savent quelque chose). Enrégimentées et conditionnées par un ordre de femmes appelées les "tantes", les "servantes" passent de maison de haut dignitaire en maison de haut dignitaire pour remplir leur fonction non érotique de reproduction. En cela Margaret Atwood reprend le propos de "1984" dans lequel la femme du héros acceptait d'avoir des rapports sexuels avec lui uniquement à fin de reproduction, et appelait ces moments "notre devoir envers le Parti".
L'ouvrage est d'ailleurs extrêmement référentiel, et c'est plutôt amusant à la lecture. Quelques exemples : tout d'abord "1984" dont la structure est très proche (hormis dans le fait qu'il y a trois époques décrites en parallèle dans "La servante écarlate" : maintenant, avant, bien avant), y compris la conférence d'une société d'histoire qui clôt le livre et apporte des éclairages sur la période du récit comme le guide "Théorie et pratique du collectivisme oligarchique" termine "1984" ; le titre anglais "The handmaid's tale" est une référence directe aux contes de Canterbury ; l'ambiance lente et triste de la maison dans laquelle officie Defred évoque immanquablement le film "Cria cuervos" ; la référence à la République Islamique d'Iran est également évidente avant d'être explicite à la fin, et nous pensons à "Persépolis" même si ce n'est évidemment pas une référence pour des raisons de date.
Pour finir il faut dire que c'est un livre très bien écrit, un vrai plaisir de lecture. Je lirai sûrement d'autres Margaret Atwood.
La servante écarlate, Margaret Atwood

Commentaires

Anonyme a dit…
J' ai commencé 1984 il y a environ deux jours! (A peu près au moment où vous commenciez votre grippe. )
Gromovar a dit…
Excellent choix. Quand vous l'aurez fini, lisez "La servante écarlate", je pense que c'est plus impliquant pour une lectrice que pour un lecteur. Il faudra comparer nos impressions.
Anonyme a dit…
C'est un livre que j'ai lu il y a plusieurs années pour un cours de TD à la fac d'anglais. Il m'a beaucoup marquée, et j'y repense de temps en temps. On rentre tout à fait dans la peau du personnage principal, Defred, et on ne cesse de chercher un moyen d'échapper à cette société extrêmement surveillée. Je recommande, émotions et questionnements garantis.

Violaine, 26 ans